Le Soir d´Algerie, 13.10.2005

De notre bureau de Bruxelles Aziouz Mokhtari.
Plusieurs eurodéputés ont, en des termes très durs, dénoncé hier le Maroc et l’Espagne “co-responsables”, selon eux, “des déportations massives”, des “exactions” et des “actes barbares” commis contre plusieurs milliers de migrants subsahariens. “Ces derniers, ont tenu à rappeler les parlementaires des Vingt-Cinq, ne sont pas des “assaillants”, ni des “hordes” attaquant les enclaves espagnoles en terre marocaine de Ceuta et Melilla, mais tout simplement, des migrants fuyant la famine, la misère et la “terrible sécheresse qui a sévi ces dernières années en Afrique subsaharienne”.

Louiza Morgantini et Giusto Catania (Italie), Willy Meyer (Espagne), Sylvia Yvonne Kaufmann, Tobias Pflüger (Allemagne) et Miguel Portas (Portugal), tous europarlementaires et revenant tous de Melilla pour remettre un rapport détaillé sur ce qui s’est passé là-bas, ont relaté, longuement, le calvaire et l’enfer vécus par les malheureux demandeurs d’asile africains. Miguel Portas a, devant un parterre de journalistes bouleversés, raconté le triste récit d’un groupe parmi eux, venant de Guinée- Bissau. “Ils étaient cinq, dira M. Portas, jeunes étudiants dont l’un voulait terminer au Portugal ses études en journalisme”. “Le Portugal, puis l’Espagne, ensuite d’autres pays européens leur refusent le visa d’entrée”. “Ils décident, alors, continue M. Portas, d’économiser et de mettre de côté un peu d’argent et prennent la longue route qui de Guinée-Bissau les mènera au Sénégal, puis au Mali, puis en Algérie où ils exercent plusieurs petits boulots pour ramasser quelque argent”. “De là, ils organisent leur expédition avant de se faire tirer, pour ceux qui sont arrivés, comme des lapins par la police et l’armée marocaine aux abords du rempart de Melilla”. “Seuls deux d’entre eux succombèrent sous les balles assassines des Marocains, les autres n’étaient pas arrivés au bout du voyage. L’étudiant qui rêvait d’exercer comme journaliste mourra, livré par le Maroc, au désert, à l’absence d’eau du désert, aux serpents du désert, à la cruauté du désert. Un autre s’arrêtera, épuisé dans un bois à proximité de Tanger, disparu depuis, dira M. Portas. Mort, sans doute”, ajoutera- t-il. “Le troisième, enfin, terminera lui aussi son voyage, affamé et pourchassé par tous : policiers et militaires marocains pour le capturer et civils pour le détrousser”. “Parce que, souligne-t-il, dans l’imaginaire des autochtones, ces clandestins possèdent des euros qu’ils comptent utiliser en Europe”. Cet itinéraire de la mort des jeunes gens de Guinée- Bissau est, hélas, celui de la plupart des Africains qui postulent pour l’Europe via et Melilla. Les députés qui ont enquêté, sur place, révèlent : “400 illégaux ont été découverts par hasard par une ONG allemande qui était sur place pour une autre mission”. Sans cela, sans doute, une mort certaine, parce que programmée par le Maroc les attendait à la frontière avec l’Algérie, la Mauritanie ou le Sahara occidental. “Des immigrants ont été tués par balles réelles”, soulignera, pour ce qui le concerne, Giusto Catana, le député italien, alors que “d’autres sont morts dans le couloir de la honte (séparant le mur extérieur du rempart de Melilla de la principale entrée à la ville, ndlr) pourchassés, frappés et les corps fracassés par les policiers marocains”. “Quand j’ai vu, témoignera Louiza Morgantini, des lambeaux et des restes de vêtements collés sur la muraille et que le sang, sans doute, d’un Africain tué, gisant, anonyme, encore chaud et serpentant la terre pour se frayer un passage, dehors, à l’extérieur de l’enclave, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Jésus et son martyre”. “Alors que, tiendra-t-elle à préciser, je n’ai pas la foi ardente”. Les autres parlementaires diront, eux aussi, les mêmes récits de l’horreur. “Déportation, mur de la honte, barbelés de l’enfer, échelles de la mort, tirs à balles réelles dans le tas, Africains noirs sciemment affamés : les mots, tous les mots n’ont pas été assez durs pour décrire le purgatoire des pauvres gens de l’Afrique subsaharienne.
Résultats et conclusions
Un : le Parlement européen a été saisi hier de deux demandes. L’une ayant trait à la constitution d’une commission d’enquête parlementaire et l’autre, indépendante, qui sera le fait de la justice. Deux : la Commission européenne sera, elle aussi, interpellée pour qu’elle rédige une déclaration plus offensive et plus claire que le communiqué des premiers jours. Trois : tous les groupes parlementaires sont tenus de rendre publiques leurs positions respectives afin de préparer une résolution finale du PE sur l’affaire. En Espagne, a-t-on aussi appris, le scandale n’a pas pu être étouffé par le gouvernement. Hier, les journaux de la péninsule ibérique ont tous ouvert leurs livraisons par “L’enfer de Melilla”. La Razon (droite) et El Pais (centre-gauche) se sont fendus en éditoriaux d’une extrême virulence contre Zapatero et son ministre de l’Intérieur. Zapatero est dans de sales draps, c’est évident, parce que l’Europe, maintenant que les horreurs ne peuvent plus être cachées, ira s’expliquer, entre autres, sur un fait troublant. Pourquoi, alors que les lois et la réglementation européennes n’ont pas été actionnées au profit d’un obscure traité signé en 1972 par l’Espagne franquiste avec Hassen II ? Ceci explique peut-être cela, ce qui donnerait un éclairage nouveau aux méthodes utilisées contre les pauvres Africains. L’Espagne qui a laissé le Maroc faire le sale boulot ne s’en sortira pas comme ça. A court terme, une crise sans précédent entre Madrid et Rabat qui vont, c’est certain, s’accuser mutuellement.
A. M.