Une tragédie qui révèle l’échec de "l’Europe forteresse"
l'Humanité, 17.10.2005
Immigration. Une délégation d’eurodéputés de la gauche unitaire s’est rendue dans l’enclave espagnole de Melilla, où elle a dénoncé la politique de l’UE.
Melilla (Espagne), envoyée spéciale.
"Ils se trouvent quelque part à 150 kilomètres de la Mauritanie. Plusieurs convois transportent 2 500 à 3 000 personnes, mais il est difficile de faire une estimation. " Contacté lundi soir par téléphone, Diego Lorente, responsable de SOS Racismo de Madrid, livre au compte-gouttes les informations que lui transmet Elena. Cette jeune Espagnole, accompagnée de trois autres militantes d’ONG, suit pas à pas le convoi de clandestins subsahariens expulsés dimanche de Bouarfa (est du Maroc). Propulsés brutalement dans les cars, on les sait menottés les uns aux autres, souffrant de soif et de faim. Il y a aussi des femmes et des enfants. "Elena nous dit qu’il y a des morts", mais Diego Lorente n’avance aucun chiffre. Il craint pour sa sécurité. À l’heure où nous écrivons ces lignes, personne n’a idée de l’endroit où ils seront "débarqués", si ce n’est au milieu du désert, au fin fond de la zone militarisée marocaine... Autant dire qu’ils sont expédiés à une mort certaine.
des êtres humains livrés à eux-mêmes, dans le désert.
Vingt jours après s’être agrippés jusqu’à la mort sur le double grillage de barbelés séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla, voilà l’un des sorts réservés aux Subsahariens, candidats malchanceux à l’exil. Pressé par la communauté internationale, Rabat a signé un accord avec le Mali et le Sénégal. Depuis lundi, les clandestins de ces pays sont expulsés par avion. Les refoulés à la frontière espagnole en provenance du Ghana, de la Guinée Conakry et Bissau, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria, du Liberia sont, eux, largués dans le désert ou encore errent par centaines sur les routes marocaines, quelque part entre Nador et Oujda (Nord-Est).
"Comment se fait-il que des êtres humains, sans aucun recours, soient livrés à eux-mêmes, dans le désert, au mépris du droit et des traités internationaux", s’insurge le député européen espagnol Willy Meyer. Lundi, une délégation du groupe de la Gauche unitaire européenne et Verte nordique (GUE-GVN) (1) était à Melilla pour évaluer la situation et s’enquérir plus particulièrement du sort réservé aux réfugiés dans le centre d’accueil temporaire des immigrés (CETI) de l’enclave. Habituellement, quelque 480 personnes peuvent y trouver refuge. Aujourd’hui, ils sont près de 1 200. Les plus anciens vivent dans des containers aménagés. Les derniers arrivants dorment dans des tentes de la Croix-Rouge dressées à l’intérieur et à l’extérieur du centre. Les sorties et les entrées y sont libres. Mais ils sont peu nombreux à descendre en ville. Les plus faibles restent allongés. Les autres font le pied de grue devant les grilles du centre.
Le refus
« d’être complice de la tragédie »
"Ma famille ne sait même pas si je suis vivant, confie Mohamed. Je n’ai pas d’argent pour l’appeler. "Voilà deux ans que ce jeune de vingt-deux ans a quitté la Guinée Conakry. "On a toujours des doutes. On croit que la vie est belle et ce n’est pas ça ", dit-il. Ceux qui "ont réussi à passer", comme on dit ici, attendent désormais que les portes de l’Europe s’ouvrent. Mais quand se verront-ils accorder un statut leur permettant d’atteindre la "grande Espagne"? Une inquiétude partagée par les ONG locales, accueillant les immigrés, qu’ont rencontrées les eurodéputés. "Le problème est complexe, reconnaît Luisa Morgantini, eurodéputé italienne. Il faut résoudre le problème aux frontières, agir rapidement pour venir en aide aux personnes qui cherchent de l’espérance en Europe, mais également se tourner vers les pays d’origine de ces damnés de la terre qui souffrent de la politique de commerce internationale. » Face aux autorités locales rencontrées - le représentant du gouvernement et le président de l’Assemblée -, la délégation des europarlementaires a signifié son refus « d’être complice de la tragédie" de Melilla. " Elle révèle l’échec de la politique de l’Union européenne qui a voulu ériger une forteresse, explique Willy Meyer. Nous, nous voulons transformer cet échec en initiative."
À quelques kilomètres du centre d’accueil des immigrés, sur la ML 300, quelque part au pied de la double frontière de barbelés, on peut encore voir une montagne de plus de quatre mètres d’échelles artisanales confectionnées par les clandestins pour sauter vers l’eldorado européen. Un déploiement de militaires, fusils à la main, surveillent les collines. Vingt jours après le début des événements, les deux côtés de la frontière hispano-marocaine ont déclaré la guerre aux candidats à l’immigration.
(1) La délégation de la GUE-GVN était composée de Giusto Catania, Sylvia Yvonne Kauffmann (vice-présidente du Parlement européen), Willy Meyer, Luisa Morgantini (présidente de la commission Coopération et éveloppement), Tobias Pflüger et Miguel Portas.
Cathy Ceïbe
Immigration. Une délégation d’eurodéputés de la gauche unitaire s’est rendue dans l’enclave espagnole de Melilla, où elle a dénoncé la politique de l’UE.
Melilla (Espagne), envoyée spéciale.
"Ils se trouvent quelque part à 150 kilomètres de la Mauritanie. Plusieurs convois transportent 2 500 à 3 000 personnes, mais il est difficile de faire une estimation. " Contacté lundi soir par téléphone, Diego Lorente, responsable de SOS Racismo de Madrid, livre au compte-gouttes les informations que lui transmet Elena. Cette jeune Espagnole, accompagnée de trois autres militantes d’ONG, suit pas à pas le convoi de clandestins subsahariens expulsés dimanche de Bouarfa (est du Maroc). Propulsés brutalement dans les cars, on les sait menottés les uns aux autres, souffrant de soif et de faim. Il y a aussi des femmes et des enfants. "Elena nous dit qu’il y a des morts", mais Diego Lorente n’avance aucun chiffre. Il craint pour sa sécurité. À l’heure où nous écrivons ces lignes, personne n’a idée de l’endroit où ils seront "débarqués", si ce n’est au milieu du désert, au fin fond de la zone militarisée marocaine... Autant dire qu’ils sont expédiés à une mort certaine.
des êtres humains livrés à eux-mêmes, dans le désert.
Vingt jours après s’être agrippés jusqu’à la mort sur le double grillage de barbelés séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla, voilà l’un des sorts réservés aux Subsahariens, candidats malchanceux à l’exil. Pressé par la communauté internationale, Rabat a signé un accord avec le Mali et le Sénégal. Depuis lundi, les clandestins de ces pays sont expulsés par avion. Les refoulés à la frontière espagnole en provenance du Ghana, de la Guinée Conakry et Bissau, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria, du Liberia sont, eux, largués dans le désert ou encore errent par centaines sur les routes marocaines, quelque part entre Nador et Oujda (Nord-Est).
"Comment se fait-il que des êtres humains, sans aucun recours, soient livrés à eux-mêmes, dans le désert, au mépris du droit et des traités internationaux", s’insurge le député européen espagnol Willy Meyer. Lundi, une délégation du groupe de la Gauche unitaire européenne et Verte nordique (GUE-GVN) (1) était à Melilla pour évaluer la situation et s’enquérir plus particulièrement du sort réservé aux réfugiés dans le centre d’accueil temporaire des immigrés (CETI) de l’enclave. Habituellement, quelque 480 personnes peuvent y trouver refuge. Aujourd’hui, ils sont près de 1 200. Les plus anciens vivent dans des containers aménagés. Les derniers arrivants dorment dans des tentes de la Croix-Rouge dressées à l’intérieur et à l’extérieur du centre. Les sorties et les entrées y sont libres. Mais ils sont peu nombreux à descendre en ville. Les plus faibles restent allongés. Les autres font le pied de grue devant les grilles du centre.
Le refus
« d’être complice de la tragédie »
"Ma famille ne sait même pas si je suis vivant, confie Mohamed. Je n’ai pas d’argent pour l’appeler. "Voilà deux ans que ce jeune de vingt-deux ans a quitté la Guinée Conakry. "On a toujours des doutes. On croit que la vie est belle et ce n’est pas ça ", dit-il. Ceux qui "ont réussi à passer", comme on dit ici, attendent désormais que les portes de l’Europe s’ouvrent. Mais quand se verront-ils accorder un statut leur permettant d’atteindre la "grande Espagne"? Une inquiétude partagée par les ONG locales, accueillant les immigrés, qu’ont rencontrées les eurodéputés. "Le problème est complexe, reconnaît Luisa Morgantini, eurodéputé italienne. Il faut résoudre le problème aux frontières, agir rapidement pour venir en aide aux personnes qui cherchent de l’espérance en Europe, mais également se tourner vers les pays d’origine de ces damnés de la terre qui souffrent de la politique de commerce internationale. » Face aux autorités locales rencontrées - le représentant du gouvernement et le président de l’Assemblée -, la délégation des europarlementaires a signifié son refus « d’être complice de la tragédie" de Melilla. " Elle révèle l’échec de la politique de l’Union européenne qui a voulu ériger une forteresse, explique Willy Meyer. Nous, nous voulons transformer cet échec en initiative."
À quelques kilomètres du centre d’accueil des immigrés, sur la ML 300, quelque part au pied de la double frontière de barbelés, on peut encore voir une montagne de plus de quatre mètres d’échelles artisanales confectionnées par les clandestins pour sauter vers l’eldorado européen. Un déploiement de militaires, fusils à la main, surveillent les collines. Vingt jours après le début des événements, les deux côtés de la frontière hispano-marocaine ont déclaré la guerre aux candidats à l’immigration.
(1) La délégation de la GUE-GVN était composée de Giusto Catania, Sylvia Yvonne Kauffmann (vice-présidente du Parlement européen), Willy Meyer, Luisa Morgantini (présidente de la commission Coopération et éveloppement), Tobias Pflüger et Miguel Portas.
Cathy Ceïbe
Tobias Pflüger - 2005/10/19 10:41
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